La reconnaissance du harcèlement moral au travail : une manifestation de la « psychologisation » du social ?
C’est dans un livre écrit en 1998, Le Harcèlement moral. La Violence perverse au quotidien, que la psychologue Marie-France Hirigoyen utilise pour la première fois en France le terme de « harcèlement moral ». Celui-ci est défini comme « toute conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, mettre en péril l’emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail » (Hirigoyen, 1998, p. 55). L’ouvrage connaît un grand succès et une vaste médiatisation. L’idée qu’il peut exister un harcèlement moral, en particulier au travail, s’impose avec force au point que la lutte contre ce type de violence professionnelle devient un problème politique et qu’une loi est promulguée en 2002. Celle-ci dispose : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Que ce soit la définition de Marie-France Hirigoyen ou celle donnée par le législateur, l’on voit que les agissements de « harcèlement moral » ne sont pas explicités. Le « harcèlement moral » est défini à travers ses conséquences et non son contenu, ce qui donne aux juridictions la latitude d’interpréter la loi et de faire évoluer la notion dans le temps. En construisant progressivement la jurisprudence, les juges se sont attelés à la tâche de préciser et de circonscrire les contours du phénomène.
2Comment comprendre cette émergence très rapide de la notion de harcèlement moral au travail et ce passage à la loi moins de quatre ans après la publication de l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen ? L’apparition de cette nouvelle notion a été beaucoup interprétée comme dénotant une vision particulière des dysfonctionnements du monde du travail. Pour la plupart des auteurs ayant analysé le sens de l’émergence du harcèlement moral, le développement croissant d’une culture de l’individu masque les facteurs organisationnels et socio-économiques qui sont à l’origine des agissements hostiles. En mettant l’accent sur les dimensions interindividuelles des conflits au travail, la notion de harcèlement moral et la loi de 2002 qui le condamne, occultent les facteurs sociaux qui sont à la source de la souffrance au travail, et permettent donc, en punissant un bouc émissaire qui paiera pour les autres, une perpétuation des organisations harcelantes et des méthodes de travail « harcélogènes ». L’émergence du « harcèlement moral » serait ainsi à la fois le reflet et la conséquence d’une forme de « psychologisation » du social.
3Bien que non systématiquement formalisée, une définition de la « psychologisation » se dégage de ces écrits. Celle-ci comporte une double dimension : la « psychologisation » comme implication subjective plus grande et la « psychologisation » comme écran au social. Concernant le harcèlement moral, elles sont présentées comme étroitement intriquées, la deuxième étant la conséquence de la première. La question qui se pose alors est la suivante : ces deux dimensions de la « psychologisation » sont-elles toutes deux applicables au phénomène du harcèlement moral ? Le « harcèlement moral » induit-il une occultation des facteurs organisationnels et socio-économiques à l’origine de la souffrance au travail ? Le lien entre le développement d’une culture de l’individu dans nos sociétés modernes et l’occultation du social n’est-il pas trop rapidement postulé en ce qui concerne le phénomène du harcèlement moral ? L’objectif est de vérifier la pertinence de cette interprétation en termes de « psychologisation » du social à partir d’une enquête qualitative (cf. encadré « Méthodologie »), et eu égard au développement récent de la jurisprudence sur le sujet.
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- 1 Je tiens à remercier Monique Hirschhorn, Odile Saint Raymond, Olivier Schwartz et M.ichel de Dehn p (…)
4Après avoir reconstitué les étapes de la montée en généralité de la notion de harcèlement moral (première partie), nous essaierons de reprendre les arguments des partisans de la thèse du harcèlement comme forme de « psychologisation » du social (deuxième partie). Nous montrerons que cette thèse mérite quelques ajustements, dans la mesure où si le harcèlement moral est sans aucun doute le signe d’une « psychologisation » du social dans le sens du développement d’une culture de l’individu, il est plus contestable qu’il le soit dans le sens idéologique du terme, car la plainte de harcèlement moral a donné lieu à un questionnement juridique et politique (troisième partie). Il s’agira alors de souligner, à travers les conséquences de la loi, que ce n’est pas tant la « psychologisation » du social qui est aujourd’hui l’enjeu majeur lié au harcèlement moral que la question des limites de la juridisation de la notion (dernière partie) 1.
Méthodologie Nous avons mené une enquête basée sur trois sources principales (Salah-Eddine, 2008). La première recouvre le traitement du sujet par les médias (articles de journaux, magazines, programmes audio-visuels), qui nous permet de retracer les différentes étapes de la diffusion du « harcèlement moral » et de comprendre le rôle des médias dans la large appropriation de la notion. La deuxième a trait au travail préparatoire à la loi de 2002 contre le harcèlement moral, en particulier les débats parlementaires, ainsi que la jurisprudence qui a suivi, afin de cerner les définitions juridique et jurisprudentielle de la notion de harcèlement moral. De plus, une vingtaine d’entretiens a été réalisée avec des acteurs institutionnels de l’entreprise (représentants ressources humaines [RH] et leurs conseils, médecins du travail, inspecteurs du travail, assistantes sociales), en suivant le principe méthodologique de la diversité maximale, à la fois concernant la fonction exercée, et les paramètres liés à l’entreprise (taille, secteur d’activité…). Il leur a été posé, autant que possible, des questions d’ordre pratique : cas de harcèlement rencontrés, la description et le traitement de ces cas, le verdict rendu et les modalités concrètes de la construction de leur diagnostic, leur définition personnelle du harcèlement et leur intérêt particulier pour le thème, leur jugement concernant la loi de 2002 et ses effets, afin de cerner au plus près leur expérience du harcèlement moral. |
La montée en généralité du « harcèlement moral » au travail
5Marie-France Hirigoyen n’a pas inventé le « harcèlement moral » à partir de rien. Il existait déjà, bien entendu, le « harcèlement sexuel », traduction du terme sexual harassment inventé par des féministes américaines de l’université Cornell au milieu des années 1970. En France, la loi sur le harcèlement sexuel trouve sa source dans la jurisprudence nord-américaine, l’activisme des féministes, le travail de l’association AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes) et le droit communautaire, avec notamment une recommandation européenne du 27 novembre 1991 qui incite les États membres à prendre toutes les mesures pour promouvoir une prise de conscience du fait que le harcèlement sexuel, défini comme « un comportement intempestif à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe qui affecte la dignité de la femme et de l’homme au travail », est inacceptable. Un projet de modification du Code du travail, à l’initiative de Véronique Neiertz, secrétaire d’État aux droits des femmes et à la consommation, est adopté le 2 avril 1992 et donne lieu à la promulgation de la loi du 2 novembre 1992 interdisant « les agissements de harcèlement d’un employeur, de son représentant ou de toute personne qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur ce salarié dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ».
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- 2 Ce travail de Heinz Leymann sur le mobbing va donner lieu à une série d’études dans d’autres pays s (…)
6Marie-France Hirigoyen s’est également inspirée de termes étrangers comme mobbing, utilisé en Allemagne et dans les pays nordiques pour désigner le « harcèlement moral » au travail. C’est le psychologue Heinz Leymann qui, le premier, a théorisé ce concept en Suède, en le présentant comme l’enchaînement, sur une assez longue période, de propos et d’agissements hostiles, exprimés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne (la cible). Les sources essentielles du mobbing se situent dans l’organisation du travail, la conception des tâches et l’animation et la direction des exécutants (Leymann, 1990, 1996) 2.
7Au moment où paraît le livre de Marie-France Hirigoyen, un ouvrage du fondateur de la psychodynamique du travail, Christophe Dejours, fait déjà autorité sur les phénomènes de persécution et de souffrance au travail : Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, dont la question centrale est celle des ressorts subjectifs de la domination : pourquoi les uns consentent-ils à subir la souffrance au travail, cependant que d’autres consentent à l’infliger aux premiers ? La réponse donnée par l’auteur est formulée en termes de « banalisation du mal », le mal étant la tolérance au mensonge, sa non-dénonciation et, au-delà, le concours à sa production et à sa diffusion. Le mal est le « sale boulot » (Dejours, 1998, p. 101) auquel il faut collaborer au nom du réalisme économique. Christophe Dejours parle des moyens de rétorsion dont dispose l’entreprise à l’égard de ceux qui ne « collaborent » pas : mise au placard, persécution, manipulation délibérée de la menace, du chantage et des insinuations contre les travailleurs, en vue de les déstabiliser psychologiquement, de les pousser à la faute, pour se servir ensuite des conséquences de ces actes comme prétextes au licenciement. Nous avons ici des agissements de harcèlement moral, mais sans le terme « harcèlement moral ».
8Le livre de Marie-France Hirigoyen, qui paraît quelques mois après celui de Christophe Dejours, est composé de trois parties, intitulées respectivement : « La violence perverse au quotidien », « La relation perverse et les protagonistes » et « Conséquences pour la victime et prise en charge ». La première partie comprend deux chapitres, l’un consacré à la violence perverse dans le couple et dans la famille, l’autre au harcèlement dans l’entreprise, et se présente sous la forme d’une série de cas cliniques de harcèlement moral dans la sphère privée et professionnelle. La deuxième partie analyse les mécanismes et les ressorts de la communication et de la violence perverse, avant de décrire les profils de l’agresseur et de la victime. La dernière partie traite des conséquences psychiques du harcèlement moral sur la victime et donne des conseils pratiques relatifs à la prise en charge. L’auteur se tenant, en victimologue, du côté de la personne agressée, le harcèlement moral est présenté comme une forme de violence interpersonnelle, un processus de destruction morale qui peut conduire à la maladie mentale ou au suicide. Les agissements de harcèlement sont le fait d’un « pervers narcissique » tirant une jouissance malsaine de la souffrance d’autrui.
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- 3 Le Nouvel Observateur n° 1785 du 21/01/99 au 27/01/99.
- 4 Le Nouvel Observateur n° 1842 du 24/2/00 au 1er/3/00.
9Alors que le harcèlement moral au travail ne constitue qu’un seul chapitre du livre, c’est dans le monde du travail que la notion de harcèlement moral va trouver un écho retentissant. La publication de l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen, succès d’édition, est l’objet d’une vaste médiatisation. Le traitement de la notion au journal télévisé (France 2, le 24 mars 1999), une soirée « Ça se discute » consacrée au harcèlement à la même date, l’émission « Envoyé spécial » (24 février 2000), en touchant le grand public, ont permis de contribuer à la vulgarisation de la notion. S’il est difficile de mesurer avec précision l’impact des médias, on peut néanmoins noter qu’il est indéniable. Un exemple permet d’éclairer cet aspect : le magazine Le Nouvel Observateur 3 donne les coordonnées de l’association « Mots pour maux ». Du jour au lendemain, cette dernière se trouve submergée d’appels : d’une dizaine par semaine, les appels passent à 40 par jour, sans compter 1500 lettres reçues par mois 4.
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- 5 Libération du 06/3/01 « Harcèlement moral : comment un succès d’édition aboutit dans le Code du tra (…)
10La notion de harcèlement moral, de par son élasticité, a suscité l’intérêt d’innombrables acteurs, à commencer par les journalistes eux-mêmes qui l’ont médiatisée. « Les journalistes qui téléphonaient semblaient particulièrement concernés : soit ils l’avaient vécu eux-mêmes, soit de très près » 5, explique Ariane Morris, l’éditrice du livre de Marie-France Hirigoyen. L’ouvrage de la psychologue produit un véritable effet miroir. Dans les consultations des médecins du travail, comme les permanences des inspecteurs du travail, on ne parle plus que de harcèlement moral, avec des salariés qui viennent avec le livre en disant : « Lisez ça, c’est mon histoire ! ».
11À partir de 1999, et à la faveur de la médiatisation du phénomène, plusieurs associations de lutte contre le harcèlement moral sont nées, dont l’Association nationale des victimes de harcèlement psychologique au travail (ANVHPT), ou Harcèlement Moral Stop (HMS). Ces associations sont, très souvent, nées à l’initiative d’anciens harcelés. Ainsi, l’ANVHPT a été constituée sous l’impulsion de Françoise Pagano, qui dit avoir elle-même été harcelée. Loïc Scoarnec, fondateur de l’association HMS en mars 1999, a été « mis au placard » à la suite d’une réorganisation interne qui a touché l’établissement financier dans lequel il travaillait depuis plus de vingt ans. L’une des manières qu’il a eues de « tenir le coup » a été de s’occuper de son association. Le travail associatif, basé sur une expérience subjective qui donne naissance et légitimité à l’engagement, devient une sorte de militantisme auto-thérapeutique vecteur de reconnaissance. À l’instar des journalistes, on retrouve l’expérience subjective comme une sorte de prérequis à une éventuelle montée en généralité.
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- 6 L’Express du 03/9/98 « Les bourreaux du bureau. Le harcèlement moral fait des dégâts dans les entre (…)
- 7 « De quel droit ? » : « Harcèlement moral : faut-il une loi ? », M6, 11/5/99.
12La presse et les associations ne contribuent pas seulement à imposer la notion, c’est aussi d’elles que vient la demande de légiférer. Dès le premier article de la presse généraliste publié sur le harcèlement moral, il est demandé une législation : « Le harcèlement sexuel est puni par la loi française depuis six ans. Mais rien n’est prévu contre le harcèlement moral » 6. Des programmes télévisés transmettent le même message 7. De leur côté, les associations font du lobbying auprès des médias et des pouvoirs publics pour obtenir que le harcèlement moral figure comme infraction pénale et au droit du travail, et pour que cela soit inscrit aussi dans le statut général des fonctionnaires.
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- 8 Le questionnaire HarMor (Harcèlement Moral), dont les résultats ont été utilisés par le collectif d (…)
13L’initiative d’une loi contre le harcèlement moral au travail est prise très tôt, soit moins d’un an après la publication du livre de Marie-France Hirigoyen : le 30 juin 1999, lors d’une séance à l’Assemblée nationale, le député communiste Georges Hage demande à Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, si elle est disposée à soutenir une proposition de loi en la matière. Celle-ci déclare qu’elle lui portera « une grande attention » et qu’elle la considérera avec « un a priori favorable ». Le groupe communiste travaille alors avec un collectif pluridisciplinaire réunissant médecins, psychologues, syndicalistes, membres d’associations de victimes, juristes et inspecteurs du travail et utilise, entre autres, les résultats du questionnaire HarMor 8, avant de déposer en décembre 1999 une proposition de loi condamnant le « harcèlement par la dégradation délibérée des conditions de travail ». Celle-ci sera, après remaniement, associée au projet de loi socialiste de « modernisation sociale ». Parallèlement, les syndicats sont à l’initiative de plusieurs journées d’études sur le harcèlement moral au travail, la CGT (Confédération générale du travail) y consacrant un numéro de sa revue en mai 2000, et la CFDT (Confédération française démocratique du travail) publiant un guide de l’élu d’entreprise sur le thème en 2001.
14C’est en 2002 que la loi sur le harcèlement moral est entrée en vigueur, sous la pression des associations, des médias et des sondages d’opinion favorables à une législation dans le domaine. Le « harcèlement moral » a ainsi peu à peu été popularisé grâce à un travail d’information reposant sur l’organisation de colloques, la mise en place d’enquêtes et de protocoles de recherche pour prouver l’existence et l’importance du problème, le lobbying auprès des pouvoirs publics, et surtout la médiatisation, jusqu’à la juridisation de la notion.
Le « harcèlement moral » au travail comme forme de « psychologisation » du social
15L’émergence rapide de cette nouvelle notion de « harcèlement moral » a été interprétée comme le signe d’une « psychologisation » du social par plusieurs écrits (Ariès, 2002 ; Le Goff, 2003 ; Sanchez-Mazas & Koubi, 2005 ; Erner, 2006 ; Gollac et al., 2006 ; Piotet, 2007 ; de Gaulejac, 2009 ), dont nous présentons ci-après les principales conclusions.
16La « psychologisation » fait référence à une prégnance de la culture de l’individu dans nos sociétés modernes. Pour Jean-Pierre Le Goff, qui considère que le livre de Marie-France Hirigoyen « reflète à sa manière un nouvel « air du temps » marqué par la psychologisation et la victimisation » (Le Goff, 2003a, p. 142), une « approche individualiste autocentrée et le délitement du lien social » ont fait disparaître les « figures symboliques antérieures » (la société, l’exploitation, les rapports sociaux de travail…), dépouillé les individus de leur « dimension sociale et institutionnelle », et de leurs « oripeaux collectifs » (Le Goff, 2003b, pp. 115-116). Dans un contexte marqué par le désir d’autonomie, la quête de reconnaissance et la progression de l’individualisme, la psychologisation « repose sur l’idée que les nouvelles formes de souffrance sont liées à l’absence de reconnaissance, au sentiment d’être bafoué » (Erner, 2006, p. 63). Analysant les transformations récentes du travail et, notamment, l’émergence de la notion de harcèlement moral, Françoise Piotet conclut à une « psychologisation des problématiques sociales […] liées à la responsabilité croissante incombant à l’individu de produire, en situation, le sens de son action » (Piotet, 2007, p. 190).
17La « psychologisation » comporte également une dimension idéologique puisque, selon ces auteurs, cette approche centrée sur l’individu tend à masquer les causes matérielles ou collectives de la violence au travail. La notion de harcèlement moral conduit à énoncer des problèmes sociaux en langage psychologique, elle contribue donc à masquer les origines profondes de la souffrance au travail. Jean-Pierre Le Goff explique ainsi que le « « harcèlement moral » met des mots sur des maux, mais ces mots ne sont pas forcément les plus appropriés pour prendre du recul et comprendre ce dont il est fondamentalement question » (Le Goff, 2003a, p. 142). Le harcèlement moral « participe de ce qu’il dénonce. Il réduit en effet le malaise existant dans le travail et les rapports sociaux à un problème psychologique et moral » (Le Goff, 2003b, p. 115). On ne peut que déplorer que cette notion « renforce et diffuse les symptômes du mal contribuant à accroître le malaise, à défaut d’en avoir diagnostiqué la cause » (Piotet, 2007, p. 191). Pour Paul Ariès, l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen offre une lecture limitative du harcèlement, car il interdit de comprendre le harcèlement au travail autrement que comme une perversion destinée à faire démissionner l’autre. La psychologue ne peut, de ce fait, que faire l’unanimité, puisqu’elle ne met pas en cause la logique du système, mais des phénomènes qui restent marginaux. « Le harcèlement n’est pas le fait de pervers narcissiques, car cela voudrait dire que la perversion n’existe qu’à la marge du système managérial, alors que tout prouve […] qu’elle tend à le structurer » (Ariès, 2002, p. 16). Le harcèlement se doit d’être « dé-psychologisé – tant il est vrai […] que la dégradation des relations sociales ne peut être le fait d’un seul individu » (Sanchez-Mazas & Koubi, 2005, p. 9).
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- 9 Voir la création récente des « tickets psy » qui donnent droit, dans certaines entreprises, à des c (…)
18« La notion de harcèlement moral tend à focaliser le problème sur le comportement des personnes, plutôt que sur les processus qui les génèrent » (de Gaulejac, 2009, p. 238), et fait ainsi l’économie d’un questionnement de la gestion de l’entreprise et, plus généralement, des processus qui engendrent les violences au travail. Le délitement des collectifs et l’individualisation des rapports au travail contribuent à « psychologiser » les causes de la souffrance au travail (de Gaulejac, 2009, p. 329). Chaque travailleur est renvoyé à lui-même, le stress, l’anxiété, le burn-out sont traités au niveau individuel dans leurs effets psychiques ou psychosomatiques, avec l’aide du corps psy 9. « L’entreprise externalise ainsi les conséquences de la violence des relations de travail qu’elle génère » (de Gaulejac, 2009, p. 329).
19La « psychologisation » est le signe que la souffrance au travail est mise en évidence, mais « l’accent est mis sur la souffrance, plus que sur le travail. La conséquence en est que le traitement proposé porte sur l’individu qui souffre et son environnement immédiat, et non sur une organisation d’ensemble » (Gollac et al., 2006, p. 39). Si c’est l’individu qui est en cause et la cause, on comprend mieux que « le savoir psychologique apparaisse comme le seul savoir pertinent pour aider les individus », avec toutes les dérives que cela implique, notamment celle de réduire le vécu à la seule « représentation psychique du vécu » (Piotet, 2007, p. 191). La violence au travail étant le produit d’un face à face entre une victime et un harceleur « réduit à des intentions et des actes individuels malveillants dont la psychologie rendrait raison […], la victimologie et les thérapies en tout genre sont promises à un bel avenir » (Le Goff, 2003b, p. 116).
20Quant à la loi contre le harcèlement moral, elle met « l’accent sur l’interaction entre deux personnes et non sur le contexte de cette interaction » (Gollac et al., 2006, p. 44). Elle « met en cause des comportements singuliers, des agissements pervers qui existent certainement et qu’il convient de condamner. Mais, ce faisant, elle occulte les causes profondes du harcèlement. Elle contribue à individualiser le problème » (de Gaulejac, 2009, p. 237). Les procès envers les harceleurs, en désignant des boucs émissaires, renforcent la stabilité du système, en l’enfermant dans un processus de faux changement.
21Cette remise en cause du harcèlement moral au travail comme relation perverse mettant en cause deux personnes, perversité devant être sanctionnée par le juge, intervient alors même que des travaux font état de l’intensification et de la dégradation des conditions de travail induites par les nouvelles normes managériales (Gollac & Volkoff, 2000 ; Baudelot & Gollac, 2003 ; Askenazy, 2004). Le nouveau management, qualifié par Philippe Askenazy de « productivisme réactif » (Askenazy, 2004), est une série de pratiques innovantes résultant de la confrontation entre le modèle américain fordiste-tayloriste et le modèle toyotiste japonais. Ce nouveau management est né aux États-Unis dans les années 1980, avant de contaminer les organisations françaises quelques années après. La première mesure est la « lean production », ou production « au plus juste » : le juste à temps, le flux tendu et le zéro stock. Sont également à mentionner la polyvalence, la circulation horizontale de l’information, les cercles de qualité, le travail en équipes. Une autre mesure importante est la recherche systématique du coût minimum : cela passe par le « re-engineering », ou reconfiguration, l’externalisation, la chasse au gaspillage. Enfin, il faut veiller à la satisfaction totale du client. Le travailleur se trouve ainsi au centre d’un cercle où il est évalué par tous ceux qui ont à travailler avec lui : managers, clients, collègues, collaborateurs, etc. (évaluation à 360°).
22En théorie, les organisations innovantes enrichissent le travail et le rendent plus motivant. Au lieu de répéter les mêmes tâches, le travailleur moderne est polycompétent et participe activement à des projets de groupe, de sorte que le couple tayloriste rythme élevé/absence d’autonomie est remplacé par le couple rythme élevé/autonomie. Tout le monde y trouverait motif de satisfaction : les entreprises améliorent leurs performances, les consommateurs disposent d’une offre élargie et optimisée de produits et services, et les travailleurs, en ayant des emplois plus valorisants et de meilleure qualité, voient les risques de santé physique et mentale s’amoindrir. Dans les faits, cette évolution s’accompagne également d’une intensification du travail qui est mal vécue par les salariés. La conséquence majeure du nouveau management est que le travail, aujourd’hui, implique le cumul de contraintes physiques et mentales, comme l’attestent les résultats des dernières enquêtes conditions de travail de la DARES (Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques).
23Ainsi, si les plaintes pour harcèlement moral se sont multipliées ces dernières années, ce n’est pas en raison d’une recrudescence soudaine du nombre de pervers narcissiques, mais en raison de facteurs qu’il faut chercher du côté de l’organisation du travail et d’un contexte socio-économique particulièrement difficile. En particulier, l’intensification et la dégradation des conditions de travail entraînent une pression croissante qui pèse sur les travailleurs, et ces derniers ont trouvé dans le nouveau vocable « harcèlement moral » une manière d’exprimer leur souffrance. En ce sens, le harcèlement moral résulterait d’une nouvelle configuration sémantique où le registre de la psychologie, de la morale et de la victimisation prendrait le pas sur le registre social. Au lieu de traiter de rapports sociaux au travail, on parle de harcèlement moral, ce qui est une forme de « psychologisation » du social, celle-ci étant une conséquence de la désinstitutionalisation en œuvre dans les sociétés modernes. Selon François Dubet et Danilo Martuccelli, ce processus projette les relations interpersonnelles et subjectives au devant de la scène, et induit une « « psychologisation » des relations » (Dubet & Martuccelli, 1998, p. 154).
24Ce processus est très certainement en œuvre dans le monde du travail, comme l’ont montré les auteurs cités plus haut. Ce qui en revanche nous paraît assez contestable concernant le phénomène spécifique du harcèlement moral, c’est la dimension idéologique de la « psychologisation » qui lui est appliquée, c’est-à-dire le lien établi entre le recentrage sur l’individu dans nos sociétés et l’occultation du social, l’individuel venant masquer le collectif. La thèse que nous défendons est inverse : on est passé, en ce qui concerne le phénomène précis du harcèlement moral, de l’individuel au collectif.
Du psychique au questionnement juridique et politique
25L’interprétation du harcèlement moral comme notion minorant le rôle des facteurs organisationnels tend à négliger les travaux qui ont souligné l’importance de faire le lien qui s’impose entre les dynamiques interpersonnelles du harcèlement et les éléments de contexte qui favorisent son émergence et son maintien. Après avoir fait du harcèlement moral une relation perverse dans son premier livre, Marie-France Hirigoyen elle-même met en évidence, dans son deuxième ouvrage, les contextes qui le favorisent : la « nouvelle organisation du travail », le « cynisme et la perversité du système », et le « rôle facilitateur d’une société narcissique » (Hirigoyen, 2001).
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- 10 Commission nationale consultative des droits de l’homme, « Avis portant sur le « harcèlement moral » (…)
26Beaucoup a été dit sur la loi de 2002, qui constituerait une solution individuelle à une violence au travail réduite à l’affrontement de deux individualités. Or, une loi ne se définit pas seulement par le texte stricto sensu. Lorsqu’on se réfère aux travaux préparatifs à la loi, et notamment aux institutions consultées 10 lors du processus législatif, la définition du harcèlement moral apparaît bien plus large qu’une relation opposant un bourreau et une victime. Il faut rappeler que le projet de loi avait pour objectif d’interdire trois types de harcèlement : 1) le harcèlement pervers, qui est le fait d’un pervers narcissique dont le mode de fonctionnement est l’humiliation des autres ; 2) le harcèlement stratégique, qui est pour l’entreprise un moyen de contourner le droit social en faisant craquer les indésirables ; 3) la troisième forme de harcèlement interdite, et sur laquelle les débats se sont largement concentrés, est le harcèlement institutionnel, c’est-à-dire l’ensemble des méthodes de management qui engendrent un sentiment de harcèlement chez les travailleurs en raison de la pression transmise en cascade, où aucune responsabilité personnelle ne peut être clairement déterminée. L’interprétation de la loi en termes individualisants et psychologisants tend donc à perdre de vue le fait que le projet politique visait aussi la mise hors la loi des contextes organisationnels « harcélogènes ». Le législateur a intégré, dans sa définition du harcèlement moral, le rôle des contextes sociaux dans le développement de la violence au sein des entreprises.
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- 11 La Charte, adoptée en 1961 et révisée en 1996, est une norme juridique de valeur supranationale.
27Pour mieux comprendre le projet politique, il faut le mettre en rapport avec le droit communautaire. La loi de 2002 trouve en effet sa source dans la directive européenne 89/391/CEE du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé au travail. Cette directive stipule que l’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail, et impose à ce dernier de prendre toutes les mesures nécessaires pour la protection des travailleurs, y compris les activités de prévention des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adéquats. À l’époque, cette directive visait plus particulièrement les accidents de travail, les maladies professionnelles et l’impact des facteurs ambiants. Quelques années plus tard, commence à poindre dans le débat européen la question du mobbing, théorisé par Heinz Leymann et condamné par la Suède en 1993. En 1996 est introduite la notion de « Droit à la dignité au travail » dans la Charte sociale européenne 11. Le nouvel article condamne les agissements attentatoires à la dignité des travailleurs, et incite les États européens à promouvoir la sensibilisation, l’information et la prévention en matière d’actes condamnables ou explicitement hostiles et offensifs dirigés de façon répétée contre tout salarié sur le lieu de travail ou en relation avec le travail, et à prendre toute mesure appropriée pour protéger les travailleurs contre de tels comportements.
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- 12 Communication « S’adapter aux changements du travail et de la société : une nouvelle stratégie comm (…)
28Lorsque la question du harcèlement moral s’est installée dans le débat public européen, celle-ci a été considérée, à l’instar du stress, du harcèlement sexuel, de la violence ou de la pénibilité au travail, comme un nouveau « risque psychosocial » qu’il faut étudier et dont il faut prévenir les facteurs potentiels. Un ensemble de débats et de prises de position ont souligné l’importance de mettre en rapport les dynamiques interindividuelles du harcèlement et les contextes qui le favorisent. Ainsi, un rapport du Parlement européen sur le harcèlement au travail (Andersson, 2001) considère que, dans l’ensemble, les études et l’expérience révèlent un lien clair entre, d’un côté, le harcèlement moral au travail et, d’un autre côté, le stress ou le travail sous forte tension, une concurrence accrue, une sécurité professionnelle réduite, ainsi qu’un statut professionnel précaire, et met expressément l’accent sur la responsabilité des États membres et de l’ensemble de la société à l’égard du harcèlement moral et de la violence au travail, en y voyant l’élément central de la stratégie de lutte en la matière. Dans une communication du 11 mars 2002 12, la Commission de Bruxelles souligne que les mutations dans l’organisation du travail, notamment les modalités plus flexibles d’organisation du temps de travail et une gestion des ressources humaines plus individuelle et davantage fondée sur une obligation de résultat, ont une incidence profonde sur les problèmes de santé au travail, ou, plus généralement, sur le bien-être au travail. Ainsi, on observe que les maladies considérées comme émergentes telles que le stress, la dépression ou l’anxiété ainsi que la violence au travail, le harcèlement et l’intimidation représentent à elles seules 18% des problèmes de santé liés au travail, dont un quart entraîne deux semaines ou plus d’arrêt de travail. Une réflexion a donc été menée pour objectiver le harcèlement moral comme un problème d’organisation du travail, et pour l’indexer sur la remise en cause des structures socio-économiques.
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- 13 Avant la loi de 2002, la santé n’était pas spécifiée.
29Le harcèlement moral est ainsi considéré par les instances européennes comme un risque inhérent à l’activité professionnelle, qu’on doit gérer essentiellement par la prévention. Pour la France, qui suit les recommandations européennes, la loi de 2002 visait principalement à inciter les entreprises à faire de la prévention, à limiter les abus en agitant le spectre du risque pénal. L’article L.4121-1 prévoit que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la santé physique et mentale des travailleurs 13, telles que les actions de prévention des risques professionnels, les actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Le plan Santé au travail 2005-2009, venu en achèvement de la réforme de la santé au travail qui a commencé avec la loi de modernisation sociale, veut instaurer une nouvelle dynamique afin d’améliorer durablement la prévention des risques professionnels. Son but est de faire reculer ces risques et d’encourager la diffusion d’une culture de prévention dans les entreprises, l’enjeu étant de réduire le nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles, de lutter contre toutes les formes de pénibilité et de faire des emplois de qualité la norme. L’État se dote d’une agence chargée de développer les connaissances des dangers, des risques et des expositions en milieu professionnel.
30Ainsi, la subjectivité souffrante a été l’instrument public d’un militantisme associatif et médiatique qui a exercé une pression sur le gouvernement pour légiférer. L’on est passé de la souffrance individuelle à un questionnement juridique et politique. Le harcèlement moral semble constituer le paradigme d’une nouvelle forme de lutte sociale, qui passe par l’individu et son expérience subjective avant de trouver des relais pour une montée en généralité. Mais cela signifie-t-il pour autant que la régulation par le droit constitue une vraie réponse politique ?
Les conséquences de la loi
Le risque « harcèlement moral » pour l’employeur
31La jurisprudence a été tout d’abord marquée par la restriction. Si la loi de 2002 a donné lieu à un contentieux nourri, beaucoup de salariés poursuivant leur employeur pour rupture abusive du contrat affirmant qu’ils ont aussi été harcelés – les procès sont « saupoudrés » de harcèlement moral, comme si invoquer ce dernier était un appui supplémentaire, une espèce de ponctuation –, les juges ont très peu donné raison aux justiciables qui ont invoqué le harcèlement moral, par manque de preuves. Ainsi, en 2004, 85% des plaintes invoquaient le harcèlement moral au tribunal des prud’hommes de Paris, mais seulement 5% ont abouti à une condamnation de l’employeur pour cette raison (Hirigoyen & Bonafons, 2005).
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- 14 Les Échos du 16 novembre 2004 « Harcèlement moral : premiers verdicts de la Cour de cassation », pa (…)
32Le harcèlement moral requiert pour sa qualification une répétition des agissements, à la différence du harcèlement sexuel où on considère qu’un seul acte suffit (Delga & Rajkumar, 2005, p. 165). Quand un dossier mélange des accusations de discrimination syndicale et de harcèlement moral, on relève une constante : la Cour de cassation néglige le grief de harcèlement et se concentre sur la discrimination 14.
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- 15 Infliger deux sanctions disciplinaires irrégulières en l’espace d’un mois et quatre jours ne caract (…)
33Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît à l’employeur un certain nombre de prérogatives non constitutives de harcèlement moral. Les Hauts Magistrats refusent d’assimiler l’exercice du pouvoir disciplinaire à du harcèlement moral. L’exercice – même abusif – du pouvoir disciplinaire ne caractérise pas un harcèlement moral. Le fait qu’un salarié ait déjà fait l’objet de plusieurs tentatives de licenciement, toutes infructueuses, pour des motifs similaires ne permet pas de caractériser l’existence d’un harcèlement moral et d’une discrimination syndicale (Cass. soc., 8 janvier 2003). Il a même été admis que l’employeur puisse prononcer des sanctions disciplinaires non fondées sans pouvoir pour autant être considéré comme auteur d’un harcèlement moral 15. Il apparaît enfin que l’intention de nuire est considérée par les juges comme absolument centrale dans la qualification de harcèlement moral (Adam, 2006, p. 10), interprétation prenant ses distances avec le texte : des agissements ayant « pour objet ou pour effet » permet en effet de qualifier de harcèlement moral des agissements perpétrés sans intention de nuire.
34C’est à partir de 2006 que s’opère une rupture, avec une jurisprudence axée sur l’obligation de prévention qui incombe à l’employeur. Celui-ci doit veiller à ce que la santé et la sécurité au travail soient effectives, et il est jugé sévèrement si tel n’est pas le cas (cf. encadré « L’obligation de sécurité de résultat »). L’année 2009 est quant à elle marquée par un revirement jurisprudentiel remarquable lorsque la Cour de cassation reconnaît pour la première fois, dans un arrêt du 10 novembre, que les méthodes de gestion peuvent, lorsqu’elles entraînent une détérioration des conditions de travail, caractériser un harcèlement moral, sachant que c’est à l’employeur qu’il revient de se disculper. Ainsi, conformément au texte de loi, le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de nuire de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.
L’obligation de sécurité de résultat L’année 2006 marque un tournant, avec un arrêt du 21 juin de la Cour de cassation qui crée une obligation de résultat pour l’employeur en matière de prévention du harcèlement. Saisie dans le cadre d’une plainte déposée par six salariés contre le directeur d’une association, la Cour a estimé que la responsabilité contractuelle de l’employeur était engagée, en l’absence même de faute de sa part, en se fondant sur l’existence d’une obligation de sécurité de résultat auquel ce dernier est tenu en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise. Il s’agit donc d’un nouveau prolongement de l’arrêt du 28 février 2002 sur l’amiante, ou de celui du 29 juin 2005 sur l’obligation contractuelle de prévention du tabagisme passif. À défaut de satisfaire à son obligation de prévention et d’utilisation de son pouvoir disciplinaire, l’employeur risque de voir sa propre responsabilité engagée, quand bien même il ne serait pas directement l’auteur de l’acte. Dans ce cas, il sera condamné à réparer financièrement le préjudice subi par le salarié, par des dommages et intérêts. Une décision des juges suprêmes du 22 février 2007 vient renforcer ce dispositif. Si la tentative de suicide ou le suicide survient par le fait du travail, il peut acquérir la qualification d’accident du travail, même s’il a eu lieu au domicile, à l’occasion d’un arrêt maladie. La qualification d’accident du travail entraîne des conséquences à la fois pour l’employeur et pour le salarié : incidences en matière de tarification des cotisations d’accidents du travail, de reclassement, de montant des prestations versées. L’employeur a l’obligation de reclasser le salarié ou, à défaut de pouvoir trouver un poste adapté, de lui verser des indemnités conséquentes. Des indemnisations complémentaires peuvent être accordées si la faute inexcusable de l’employeur est prouvée. Dans une série d’arrêts rendus en février 2002 en matière d’amiante, la Cour de cassation a étendu le champ de la faute inexcusable, en considérant que le manquement de l’employeur à l’obligation de résultat en matière de sécurité constitue une faute inexcusable lorsque ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. La faute inexcusable peut être retenue, que l’employeur soit l’auteur du harcèlement ou qu’il ait seulement eu connaissance des actes de harcèlement commis dans l’entreprise et auxquels il n’a pas tenté de mettre un terme. Cela veut dire qu’en matière de harcèlement moral, dès lors que la qualification d’accident de travail sera retenue pour les actes qui en résulteraient, le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité du résultat devrait présenter le caractère de faute inexcusable. |
35La jurisprudence récente est conforme à l’esprit de la loi, dans le sens où le coût de la non-prévention est augmenté. Le risque harcèlement moral est important pour l’employeur. En cas de procès, ce dernier doit prouver qu’il ne pouvait avoir connaissance des agissements hostiles contre un travailleur ; sinon, il doit au moins pouvoir prouver qu’il a tout mis en œuvre pour stopper lesdits agissements. Il doit aussi apporter la preuve que ses méthodes de gestion n’entraînent pas de détérioration des conditions de travail, et que la dégradation de la santé physique ou mentale d’un de ses travailleurs n’a aucun lien avec les agissements d’un collaborateur ou avec une méthode de gestion. Cette jurisprudence contraignante devrait conduire les employeurs à redoubler de vigilance quant à la mise en œuvre de nouvelles organisations de travail, sous peine de voir leurs projets suspendus par les juges. La souveraineté de l’employeur en matière de conditions de travail trouve là une limitation.
36Des entretiens avec des acteurs institutionnels ont montré que si la définition de ce qu’est le harcèlement moral pose problème, l’enjeu est pris au sérieux. Le risque juridique lié au harcèlement moral n’est pas « une peccadille », les services ressources humaines en ont pris la mesure. Un directeur des ressources humaines d’un groupe d’audit interrogé « partage l’énervement de beaucoup de gens de la fonction RH sur le sujet parce que c’est vrai que c’est des dossiers chronophages, difficiles, et en même temps vous ne pouvez pas les traiter comme ça d’un revers de main parce que derrière il y a une réalité humaine palpable, et puis il y a des retombées légales ! ». Que le harcèlement moral soit « vrai » ou « faux », « l’enjeu est très fort, pour ce genre de dossiers », car « si vous prenez partie, derrière on est quasiment engagé à des sanctions disciplinaires, si c’est du harcèlement moral avéré et confirmé derrière, là pour le coup l’employeur devient hautement responsable ! ».
37Le harcèlement moral est un nouveau risque, qui doit être géré et prévenu par l’employeur. La jurisprudence sur le harcèlement moral oblige les employeurs à reconnaître l’existence de ce risque au sein des organisations et à définir l’ensemble des solutions en vue d’assurer la mise en œuvre de systèmes de prévention et de gestion de ce phénomène sur le lieu de travail, comme le résume une experte RH d’un groupe public :
En 2004, on s’est senti un peu seul, autant dire. C’est-à-dire qu’on écrivait nos politiques, mais on sentait qu’il y avait pas tellement de prise… on n’avait pas de prise sur le management sur ces histoires-là. Et puis bon, les jurisprudences, pan, pan, pan ! On en a parlé, on parlait beaucoup de stress dans les médias, et donc on a pu, nous, rédiger nos politiques, les faire valider, etc. Au début, les sollicitations de l’équipe nationale, ce n’était que des situations très dégradées, et puis progressivement, l’idée de prévention primaire et secondaire a fait son chemin, et on a pu faire vraiment un boulot de super qualité, moi j’en étais vraiment ravie, notamment dans les branches commerciales, en prévention, c’est-à-dire sur la base d’une analyse de risque, où on voyait ce qui pouvait entraîner stress, donc ce qui à terme peut entraîner pratiques managériales abusives, ou comportement abusif entre collègues, etc., donc harcèlement dans des formes très élaborées, et on a vraiment pu travailler sereinement. Et à chaque fois, quand il y a une jurisprudence, comme celle de juin 2006, dring ! C’est une pièce de plus dans la cagnotte pour faire de la prévention, et avec l’espoir qu’on puisse la faire maintenant plus sereinement, de façon plus ancrée, c’est-à-dire non pas en réaction aux événements, non plus aussi en action coup de poing, c’est-à-dire qu’on dise : la prévention des risques psy, eh bien c’est quelque chose qui naît de l’activité professionnelle… Donc l’objectif c’est que les employeurs ne pensent plus seulement : « Ah ! J’entends que dans telle équipe, on parle de harcèlement ! », ou « Ah ! Ils ont pété les plombs sur le centre d’appels, donc on va faire quelque chose », mais de penser : « Mon activité génère des risques, j’ai des groupes sociaux dans l’entreprise, et donc en tant que tel c’est générateur de risques… d’opportunités, de richesse, et tout ça… mais aussi de risques », et donc je travaille, ensemble, en pluridisciplinaire, avec les agents, à analyser ces risques pour pouvoir être en veille, détecter, mener des actions correctrices au plus tôt des situations, et ça, sur le pluriannuel… Une action ancrée et méthodique.
Les limites de la juridisation de la notion
38La loi contre le harcèlement moral au travail n’a pas réglé tous les problèmes. Si les acteurs institutionnels interrogés insistent sur les enjeux liés au risque harcèlement moral au travail, il apparaît néanmoins que la gestion de ce risque et le devoir de prévention restent pour l’instant relativement formels, dans la mesure où l’employeur ne s’emploie pas vraiment à transformer les conditions de travail dans le sens d’un arrêt de leur dégradation, mais adopte plutôt une stratégie consistant à prouver au juge – en cas d’éventuelle action judiciaire – qu’il a tout entrepris en termes de mise en place de « protocoles harcèlement moral » : formation, rédaction d’une charte, détermination d’une procédure de règlement des cas de harcèlement, existence d’un dispositif d’écoute des victimes…
39On l’a vu, le législateur a donné une définition très large du harcèlement moral, ce sont les juges qui ont progressivement comblé le vide juridique. Mais les juges peuvent statuer contra legem, ce qui a d’ailleurs été le cas avant le revirement jurisprudentiel de 2009 évoqué plus haut. Au-delà de l’environnement rendu incertain par des jugements au coup par coup et au cas par cas, le renforcement du poids des juristes et des avocats dans la gestion des entreprises a un coût, qui ne peut être payé par tous. L’obligation de l’employeur de prémunir les travailleurs contre le harcèlement moral en menant des évaluations, en informant et en tentant d’en éliminer activement tous les facteurs causaux crée une dichotomie entre les grands groupes, qui ont les moyens pour le faire, et les petites entreprises qui, en l’absence d’instances représentatives du personnel, disposent de moyens insuffisants dans ce domaine. Pour les victimes, la crainte de parler, la perspective d’une procédure longue, coûteuse et au résultat aléatoire, ainsi que la difficulté de la preuve rendent difficile l’attaque en justice pour harcèlement moral. Sans compter un état physique et mental des harcelés souvent incompatible avec l’entreprise d’une démarche judiciaire.
Conclusion
40Il est tentant de présenter le harcèlement moral comme le paradigme d’une forme de lutte sociale éminemment moderne, où l’individu est la référence première, où la souffrance subjective devient un levier de l’action collective, selon le mot de Marcel Gauchet : « La modernité pose le singulier au départ, afin de l’universaliser » (Gauchet, 1998, p. 168). Le répertoire de la protestation est pluriel, et l’étiquetage « harcèlement moral » a donné une prise à une recherche des causes qui le favorisent et, à partir de là, à une remise en cause – du moins théorique – des conditions sociales qui le permettent ou le produisent. La preuve en est que les professionnels de la santé, du travail, les syndicats, les associations et les pouvoirs publics n’ont jamais autant parlé de la dégradation des conditions de travail que depuis que la notion de harcèlement moral et celle, qui lui a été souvent associée ces dernières années, de suicide au travail, sont apparues. On n’a jamais autant traité de l’organisation du travail, interrogé des choix économiques, analysé des méthodes de travail basées sur la flexibilité, le toujours plus rapide, le changement permanent. Le débat sur le harcèlement moral a ouvert la porte à une réflexion globale sur l’organisation du travail.
41La question du harcèlement moral, loin d’être un masque aux conditions organisationnelles et socio-économiques qui l’engendrent, a été traitée comme un problème politique. La réponse gouvernementale au problème du harcèlement n’avait pas pour visée principale de condamner un bourreau, mais de prévenir une dégradation trop importante des conditions de travail, source de souffrance chez les travailleurs. Si cela a pu être le cas lors de l’apparition de cette nouvelle catégorie, la question essentielle qui est aujourd’hui liée au harcèlement moral n’est donc pas tant celle de la « psychologisation » du social que des effets d’une réponse à la souffrance au travail qui passe essentiellement par le droit.
42Dans le contexte d’une compétition mondialisée particulièrement âpre, les entreprises ont pour maître-mot le culte de la performance. Cette course à l’excellence n’est pas sans causer de dommages collatéraux et la loi contre le harcèlement moral, nous l’avons expliqué plus haut, vise à prévenir ces dommages. De fait, les employeurs sont face à une injonction paradoxale : la législation les contraint à préserver la santé physique et mentale de leurs employés, tandis que le contexte socio-économique les incite au résultat, quel qu’en soit le prix. L’existence d’un mouvement d’opposition ou de résistance à la loi peut multiplier les stratégies de contournement, voire de détournement de la norme, et compromettre la stabilité et la durabilité de celle-ci.
43Les écrits soutenant la thèse de l’émergence du « harcèlement moral » comme manifestation de la « psychologisation » du social – dans le sens de son occultation – doivent probablement être lus à la lumière de trois données principales : tout d’abord, plusieurs de ces travaux ont été publiés avant l’évolution récente et à caractère contraignant de la jurisprudence (voir supra) ; de plus, le volet juridique du harcèlement moral ne faisait pas systématiquement partie du champ d’investigation des auteurs en question. Enfin, il faut noter la relative défiance, depuis Émile Durkheim, de la tradition sociologique à l’égard des notions empruntées au champ « psy », ce qui permet de comprendre, a contrario, pourquoi un tel débat n’a pas eu lieu à l’étranger où ce sont majoritairement des spécialistes de la gestion, des ressources humaines, de la psychologie du travail et des organisations qui, depuis Heinz Leymann, se sont emparés de la notion. À leur décharge, il faut noter que les publications de ces sociologues ont sans doute contribué à éclairer le législateur, les juges, et plus largement la société sur les origines sociales de la souffrance au travail.
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