Le Monde – 17 mai 2019
Question de droit social. Indépendamment de l’actualité du procès pénal des suicides à France Télécom, le harcèlement moral au travail est un sujet prud’homal quotidien. Durant le seul premier trimestre 2019, celui-ci a été évoqué dans 84 décisions de cours d’appel et de Cassation.
Le code du travail ne définit cette notion que par ses conséquences dans l’article L 1 152-1 : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
La méthode du juge
Parcourir la jurisprudence aide à comprendre comment le juge du travail identifie ce harcèlement et quelles indemnisations il peut accorder au salarié. Il examine les éléments présentés par le salarié, apprécie si les faits sont matériellement établis et si, pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Si c’est le cas, le juge apprécie alors si l’employeur prouve que les agissements incriminés ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En cas de harcèlement entre salariés, le juge vérifie également si toutes les mesures ont été prises pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, en respectant les principes généraux de prévention de l’article L4121-2 : « 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel…, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes… »
Sur douze décisions du 29 mars 2019, la cour d’appel de Douai a condamné les employeurs à quatre reprises. Ainsi en a-t-il été au profit d’une directrice de magasin ayant subi des violences morales par l’agressivité permanente de sa directrice régionale. La cour relève l’existence d’un harcèlement issu « des méthodes de gestion mises en place au sein de la société », telles que la surcharge de travail imposée, l’obligation de travailler en dehors des horaires et l’inaction de l’employeur qui n’a pas mis en œuvre des mesures de prévention et n’a rien fait pour remédier au problème lorsqu’il a été alerté sur l’état de fatigue physique et morale de l’intéressée (17/015638 Mme C/SA Du pareil au même).
Harcèlement moral encore admis dans le cas d’une télévendeuse justifiant d’un syndrome dépressif sévère, s’étant « vue rabaissée… par des critiques adressées publiquement… par des demandes d’effectuer… le ménage,… écartée des fonctions de responsable de plateau… déplacée et… isolée du reste de l’équipe, menacée à trois reprises… pour non-réalisation du chiffre d’affaires minimal et… brutalement dispensée d’exécuter le reste de son préavis » (17/005798 Mme O./SARL Pep’Diffusion).
Quelle indemnisation ?
Dans tous les cas, les salariés ont obtenu des dommages et intérêts au titre du harcèlement moral, et/ou pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité de résultat et de prévention.
Mais la sanction est plus lourde car, dans tous les cas, la rupture du contrat a été imputée à l’employeur : invalidation du licenciement, résiliation judiciaire du contrat, prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les conséquences financières induites par ces ruptures sur fond de harcèlement admis sont des condamnations à payer les indemnités de préavis, de licenciement, et celle pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le harcèlement moral coûte donc très cher aux salariés qui en sont victimes, à la Sécurité sociale et, en cas de condamnation, aux entreprises, tant en termes financiers qu’en termes d’image.
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